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The Halifax Herald Limited, le 11 juin 2004

Autochtone : un terme vague et nuisible

AUTOCHTONE. Quiconque lit le journal, regarde la télé ou écoute la radio finira par tomber sur un reportage portant sur les activités des Autochtones.

Il s'agit d'un terme dont le sens a été réinventé par le gouvernement fédéral pour désigner en bloc les Premières Nations et les Inuits. Aux États-Unis, les médias et le gouvernement ont consacré les expressions vagues d'Amérindiens et de tribus pour fondre toutes les cultures des Premières Nations.

Ce n'est pas d'hier que date ce mouvement insidieux visant à saper et, tôt ou tard, à éliminer les identités nationales au sein des Premières Nations pour les fondre au creuset des sociétés européennes qui dominent au Canada et aux États-Unis.

Au Canada, c'est avec le projet de loi surnommé Livre blanc de 1969 que Trudeau amorce ce mouvement. Mais face à l'opposition quasi unanime des citoyens et citoyennes des Premières Nations, qui s'opposent vivement aux visées assimilatrices du document, le gouvernement le retire. Voici ce que je disais dans un article paru le 23 août 1996.

« L'adoption de cette loi aurait été un désastre absolu pour les Premières Nations du Canada qui, sans la protection de la Constitution, auraient été véritablement assimilées puisque leurs cultures distinctes étaient déjà menacées par les valeurs de la culture étrangère dans laquelle elles baignaient.

« Avant d'aller plus loin, il faut mentionner que Pierre Trudeau a rarement (voir en aucun cas) dévié d'un objectif qu'il avait fixé à son gouvernement; si un obstacle se dressait sur son chemin, il trouvait toujours un moyen de le surmonter. Si bien qu'au rapatriement de la Constitution, en 1981, son gouvernement a glissé le terme peuples autochtones dans l'article 35. Pour le non-initié, ce terme semble passablement banal, mais Trudeau, de par son intelligence et sa formation d'avocat, devait avoir prévu que l'ambiguïté soulèverait d'énormes problèmes d'ordre juridique pour les Premières Nations et planterait les premiers jalons de leur assimilation.

« Voici la définition de peuples autochtones selon l'article 35. "(2) Dans la présente loi, peuples autochtones du Canada s'entend notamment des Indiens, des Inuits et des Métis du Canada." Conséquence négative de cette définition vague, l'inclusion du terme peuples autochtones créait une nouvelle race d'indigènes désormais reconnue sous le nom de peuples autochtones. Si bien que les gouvernements fédéral et provinciaux (et les tribunaux) ont unilatéralement conféré à certaines personnes (…) des droits ancestraux et des droits issus de traités.

« Contrairement à ce qui se passe chez les Premières Nations et chez les Inuits – où l'appartenance est clairement définie et où la filiation plusieurs fois millénaire est indiscutable –, il n'existe aucune définition rigoureuse des critères à remplir pour être un ou une Autochtone. La définition du terme autochtone en usage à Emploi et Immigration Canada en dit long sur le manque de rigueur terminologique du gouvernement fédéral : ". . . s'entend de quiconque se perçoit comme une Indienne inscrite ou un Indien inscrit, une Indienne non inscrite ou un Indien non inscrit, une Métisse ou un Métis, ou encore, une Inuite ou un Inuit et qui est accepté comme tel par la communauté indigène locale." Mais une question clé, parmi tant d'autres, demeure : quelle communauté indigène locale?

« En raison du caractère vague de la définition figurant à l'article 35, il y a maintenant près de deux millions de Canadiens et Canadiennes qui prétendent au titre d'Autochtones sans avoir de lien explicite avec les Premières Nations. Cet afflux de soi-disant Autochtones a eu notamment pour grave conséquence de semer la pagaille au sein des organismes de financement qui consacraient jusque-là une partie de leurs ressources à des groupes dont les besoins étaient criants : les Premières Nations et les Inuits. De fortes sommes sont maintenant détournées pour servir à ces peuples autochtones créés de toutes pièces par la Constitution.

« De surcroît, l'interprétation donnée au terme peuples autochtones a également fait en sorte que les tribunaux ont pris des décisions fâcheuses qui portent préjudice aux droits ancestraux des Premières Nations et des Inuits ou qui les réduisent à rien. (…) ces décisions sont de triste augure en ce qui concerne la préservation (à long terme) des droits accordés aux Premières Nations et aux Inuits. »

Actuellement, nombre d'Autochtones n'ayant absolument aucun lien ni avec les Premières Nations ni avec les communautés inuites exercent toujours les droits de chasse et pêche ancestraux que leur accordent les gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que les tribunaux.

Depuis mon article de 1996, le problème de la perte d'identité s'est encore aggravé : dans les publications, il n'est presque plus jamais question des identités respectives des Premières Nations. Exemple : J'ai lu récemment deux articles concernant les Bouctouches et les Membertous, membres des communautés Mi'kmaqs. Dans ces articles, aucune mention de Mi'kmaqs. Il n'était question que d'Autochtones : communauté autochtone, chef autochtone, réalisations autochtones, et j'en passe. Le lecteur non avisé n'avait aucun moyen de savoir qu'il s'agissait de Mi'kmaqs.

Ajoutons que ces articles n'ont rien d'exceptionnel. Régulièrement, des cas comme celui de Neil Stonechild, qui a fait les manchettes pendant un certain temps, viennent le confirmer. Ce jeune homme aurait été abandonné par des policiers aux abords de Saskatoon au beau milieu de l'hiver et en serait mort de froid. Et pourtant, combien de gens savent que Stonechild appartenait à la grande nation crie? Une infime minorité car, dans les reportages, on se contentait presque uniquement de dire que le jeune homme et sa famille étaient autochtones.

Aucune des Premières Nations ne se dit autochtone; aucune ne parle autochtone ni ne pratique la culture autochtone. Toutes n'ont d'autochtone que l'étiquette. Les Premières Nations du Canada et des États-Unis possèdent leurs propres cultures très distinctes les unes des autres, qu'elles développent dans leurs propres langues, en observant leurs propres coutumes et ainsi de suite. Est-il si difficile, en décrivant les activités des Premières Nations, de préciser Mi'kmaqs, Malécites, Mohawks, Sioux, et autres? Je vous en prie, utilisez ces termes. Les Mi'kmaqs ne comprennent pas le sioux et vice-versa. Nous sommes tous différents.

Phil Fontaine, chef national de l'Assemblée des Premières Nations, et les chefs des Premières Nations des États-Unis devraient se pencher sur ce problème et prendre des mesures pour arrêter cette glissade vers l'assimilation.

Daniel N. Paul

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